Brutal Riddim, trentième référence du label Ouch! Records : l’occasion d’un bilan
Ce 22 novembre 2024 est sorti Brutal Riddim, création rock noise signée des anciens Bass Elevator, Tony Gremmie et KptnPlanet aka Philippe « Pipon » Garcia. Brutal Riddim est le trentième disque de Ouch ! Records, label créé en 2016 par le saxophoniste et compositeur Lionel Martin. L’occasion de faire un bilan avec son fondateur.
30 références pour un label indépendant en si peu de temps, c’est beaucoup, non ? Quelle est ta recette ?
Lionel Martin : Non ce qui est beaucoup, c’est la masse d’informations que nous subissons à chaque instant. Défilent les images, les sons. On peut tout voir, tout entendre. Tout existe, est affiché et disparait tout aussi vite. Faire, produire, éditer un album c’est travailler dans le temps, marquer les choses pour le plaisir de l’instant présent et la durée.
30 disques vinyles effectivement cela commence à faire une belle mémoire, une belle collection ! Saluons ici Monsieur J. Haynes, fan helvétique, qui nous suit depuis le début et qui possède toutes nos productions… du badge Jazz Before Jazz aux K7 en séries limitées !
Pour répondre à ta question, pas de recette, le coup de cœur toujours ou plutôt la sélection des coups de cœur… Sinon nous n’aurions pas sorti 30 disques mais 300…
Ouch, c’est aussi une équipe, de la passion et de la confiance. Nous travaillons avec Emmanuelle Blanchet qui s’empare de chaque disque pour en parler, le faire connaitre, via mon site, via le travail de relations presse. Avec Florent Decornet pour le graphisme des pochettes et avec Cédric Beron, alias Disque Noir, pour le mastering. Ajoutons le travail de distribution d’Inouie à Saint-Etienne, qui nous suit depuis le début malgré nos grands écarts de styles… Et saluons le travail de terrain des disquaires indés !!!
Sans toutes ces énergies associées, Ouch ! Records ne serait pas possible car je n’aurais pas la capacité ni le temps de tout gérer.
A l’origine, il y a ton envie de rééditer le premier disque de uKanDanZ, Yetchalal, qui était épuisé, et surtout de l’éditer en vinyle. Il y a eu ensuite des co-prod avec Cristal Records, l’édition en vinyle d’Ellington in the Air de Louis Sclavis, et très vite l’édition de documents rares et originaux enregistrés en Guinée Conakry, une compil-relecture de la collection Ethiopiques, etc. Comment sont nés tous ces projets de disques ? Est-ce le résultat de tes envies, de rencontres ?
L.M. : Oui, chaque disque est lié à une histoire, une découverte, une rencontre, une discussion comme celles avec des passionnés passionnants : Frederic Migeon (ex Cristal records) qui a vécu en Guinée et connait très bien les musiciens d’avant 2000 et leur histoire. Ou Gilles Fruchaux éminent spécialiste de beaucoup de musiques du monde. Tous deux me connaissaient comme musicien et m’ont encouragé et soutenu dans cette entreprise de label indépendant en me confiant des enregistrements uniques. Avec Eric Mingus nous ne nous sommes rencontrés qu’après la sortie de son premier disque produit sur notre label : The Devil’s Weight. Nous avions été mis en relation par Raphael Benoit (de Citizen Jazz).
Le label a été aussi le moyen de publier tes propres disques. Est-ce que le fait d’avoir ton propre label a influé d’une manière ou d’une autre sur ta manière de faire de la musique (t’es-tu senti plus libre, t’es-tu autorisé plus de projets…) ?
L.M. : Avoir son propre label, comme sa propre structure administrative permet l’autonomie, c’est un gain de temps et d’énergie car sortir un disque est une réalité possible immédiate. Je veux dire par là que quand je travaille sur un nouveau projet, ou une nouvelle idée, si la musique a du sens d’être enregistrée et transférée sur une galette, nous le ferons… Mes 3 solos sont vraiment des fruits du label, rendu possibles grâce à l’arbre et ses racines, mais aussi avec le fluide qui l’arrose… Je repense au clip d’Arma lux dans lequel je récupère la sève de l’arbre… bleu…
La ligne édito du label : stricte dans sa liberté, «No Borders» dans les styles musicaux, c’est affinée en passant de « exclusivement vinyle » en « du vinyle chaque fois que possible », des éditions limitées pour collectionneurs et des pochettes recherchées. Comment fais-tu pour que l’ensemble soit si cohérent avec cette variété de style ? Est-ce que tu as une stratégie bien établie ?
L.M. : Comme pour ma vision de la musique et du saxophone, il n’y a pas de barrière entre Bérurier Noir et Stravinsky… qui a décidé d’en installer ? Certainement pas le peuple. On voit aujourd’hui de grands dirigeants qui s’adressent très bien à la population en ne parlant que de frontières… Nous sommes résolument contre les frontières, No Borders comme nous l’avons annoncé dès la création de Ouch ! La cohérence artistique tient peut-être au fait qu’il n’y en a pas. Seul l’intérêt musical et humain nous captive, l’âme, le fond des choses, c’est une cohérence en soit. C’est exigeant et radicale mais tellement riche !
Pourquoi ne t’es-tu pas strictement tenu au format vinyle ? Quelles sont les difficultés que tu as rencontrés ?
L.M. : Le vinyle à mon sens n’est pas le meilleur support pour toutes les musiques. Certaines sont plus appropriées au CD en fonction de l’enregistrement, du spectre, de la construction de l’œuvre, de même pour les K7 ! Ces deux supports ont aussi l’avantage de permettre de petits tirages.
Nous rencontrons des difficultés à faire grandir notre « aura », nous constatons que très peu d’auditeurs glissent d’un disque à l’autre. Notre proposition est très large mais la curiosité n’est pas toujours au rendez-vous. Notre mission est d’aider à s’affranchir des cases où l’on enferme la musique, de faire entendre que la poésie, la rage, la fougue, la liberté, la puissance, l’inventivité sont des composantes essentielles de ce qui anime notre catalogue. De ce fait même si nos disques peuvent surprendre et détonner, ils ne vieilliront pas, ne se démoderons pas. Nous avons constitué une belle discothèque et si certains de nos disques sont épuisés et déjà collectors, pas de doute que les albums que nous avons plus de mal à faire connaitre prendront le même chemin.
Vous verrez par exemple que les deux chefs d’œuvres que nous a confié Eric Mingus s’arracheront… car ce sont de véritables monuments !
Les plus gros succès du label ?
L.M. : Le premier succès a été le disque Jazz Before Jazz (avec Mario Stantchev) qui a reçu de nombreux prix. Deuxième succès avec mon premier SoloS et la couverture signée Robert Combas. Disque qui est parti très vite avec des retours très positifs de la part d’un public venant d’horizons très différents. Et aujourd’hui, c’est le carton avec les disques de No Suicide Act… qui sont très demandés (le 45T est épuisé, et nous pensons faire un retirage de l’album Interbellum dont il nous reste que très peu d’exemplaires)
L’avenir : comment vois-tu la suite pour le label ? Les prochaines sorties ?
L.M. : Il y a peu j’étais prêt à jeter l’éponge trouvant la mission trop difficile et le monde du disque saturé… Mais il y a tellement de surprises dans le monde underground, ce monde que l’on entend presque pas sur les ondes (sauf sur les radios indés, merci à elles !) que produire des disques est une forme de résistance… alors si c’est dur on résiste, on se bat… et Ouch !
Prenez dans les oreilles ce coup de marteau puissant et vif asséné par Pipon et Tony avec brutal Riddim, 30ème LP à l’origine de cet interview…. Viendra pour NSA, une version CD, le repressage d’Interbellum et peut être même un nouveau 45T pour très bientôt…
Côté jazz, nous venons de sortir Letter To The World avec le batteur Sangoma Everett qui donne beaucoup d’éléments en réponse à toutes ces questions qui nous animent…
Profitez de cette discographie riche et variée, merci à tous de votre intérêt et soutien